La mode Demna, héritage d'une vision belge


Celui qui veut désormais être uniquement appelé Demna – après tout son nom n’était pas des plus simples à prononcer - marque l’industrie de la mode par son esthétique pour le moins anticonformiste. D’où lui vient cet esprit avant-gardiste qui propulse la maison Balenciaga, dont il est le directeur artistique, sur le podium des marques de luxe les plus populaires ?

La déroutante collection Fall 22

Les défilés de Demna pour Balenciaga sont toujours hautement attendus et scrutés. Il faut dire que le créateur fait rarement dans la simplicité et vise toujours juste. Les derniers en date ? Un décor les pieds dans l’eau, un public complètement fake ou encore un tapis rouge aux airs d’avant-première. Pour la saison Fall 22, c’est sa troublante corrélation avec la situation géopolitique actuelle qui a surpris, voire bouleversé tout le monde et ce autant dans la scénographie que dans la collection.

Certains mannequins défilaient avec des sacs poubelles en guise de sac à mains ; le comble de l’anti-chic pour toute la sphère mode. Mais dans un cuir venu tout droit d’Italie, le trash bag n’a rien à envier à ses congénères, l’Hourglass ou le Cagole, si ce n’est sa portabilité. Autre choix osé, des serviettes de bains étaient portées en guise de châle par des mannequins frigorifiés dans une tempête de neige artificielle. Rassurez-vous, celles-ci étaient faites de cachemire… D’autres n’avaient pas la même (mal)chance et étaient recouverts de scotch de la tête aux pieds.

Et le créateur n’en est pas à son premier coup d’essai. Au cours des précédentes saisons, ce sont des sacs de courses ou même le mythique cabas bleu Ikea qui ont été réinterprétés et qui ont foulés le podium. Le directeur artistique ne s’interdit rien quitte à étonner, choquer ou déranger.

Sur les pas du déconstructivisme belge

Pour comprendre cette volonté de casser les codes, il faut remonter à une époque où le créateur occupait davantage la place d’apprenti que la place de directeur star. Après des débuts en finance - heureusement qu’il a changé de voie - il rentre à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers en Belgique. De cette école, en sont sortis des grands designers ayant un penchant pour le déconstructivisme. Parmi eux, Martin Margiela chez qui il va faire ses armes. Arrivé seulement en 2009, Demna n’aura pas la chance de travailler à ses côtés. Mais l’héritage laissé par l’artiste belge ne cessera de l’inspirer.

Bien qu’appartenant à l’industrie de la mode, Margiela n’en respectait pas les codes pour autant. Ne serait-ce que pour les défilés, souvent présentés dans des lieux qui faisaient froncer les sourcils de plus d’un journaliste ; terrain vague, parking, métro ou encore entrepôt. Quant aux collections, il créait selon ses propres règles et sa propre vision davantage portée sur la structure du vêtement et l’artisanat. Il suivait une philosophie qui le poussait à se détacher des pratiques de couture conventionnelles en atteste sa marque de fabrique, l’upcycling ; un designer autant disruptif et visionnaire. Tandis que certains matériaux étaient réutilisés, d’autres étaient complètement sortis de leur contexte. Un tablier de cuisine est devenu une robe de soirée sophistiquée, une couette s’est transformée en manteau (très) enveloppant ou encore une veste s’est vu être revêtue de perruques de cheveux. Le créateur détourne des objets qui nous sont familiers pour surprendre. Dans ce qui s’apparente davantage à un laboratoire plutôt qu’un atelier, on déconstruit, on reconstruit et on conceptualise sans hésiter à faire un pas de côté pour ouvrir la voie à de nouvelles perspectives esthétiques.

Pour Demna, la démarche est approximativement la même. Il frôle le politiquement incorrect et va à l’opposé de tout, surtout de ce que l’industrie de la mode prône comme esthétique, tendance ou portable. Avec lui, le mauvais goût n’existe pas. Voir la beauté comme un principe subjectif a d’ailleurs été un de ses enseignements appris lors de ses années chez Margiela. Aujourd’hui, entre conscience écologique et besoin de briser les interdits, il crée des collections qui invitent à la réflexion. Non sans une pointe d’ironie parfois, il y injecte ces objets inspirés du quotidien car pour lui, tout part de là et il s’agit finalement de la meilleure manière pour se faire comprendre auprès du plus grand nombre.


Considérer uniquement la forme du vêtement sans tenir compte du fond serait une erreur dans la compréhension de l’esthétique de Demna. Sa vision va à contre-sens de la mode actuelle et rejoint un mouvement en marge des tendances dont il se fiche éperdument. D’ailleurs, à en croire son succès, il préfère les créer plutôt que les suivre.