Balenciaga Resort 23, la collection de trop ?

©Balenciaga

Demna est passé maître dans l’art des défilés spectacles. D’ailleurs sa dernière collection Resort 23 pour Balenciaga était présentée à Wall Street. Mais à trop vouloir impressionner par la scène, on finit par en oublier ce qui compte vraiment, le vêtement…

Wall Street, version BDSM

Cela faisait presque 10 ans que Balenciaga n’avait pas foulé le sol américain pour défiler. Alors pour marquer son retour, autant voir les choses en grand. La maison a (tout simplement) investit la salle des marchés de la bourse de New York, au cœur même du capitalisme. Naturellement, la collection parle d’argent, mais son interprétation est moins littérale que ce que Demna nous avait proposé pour Vêtements. Ici les billets ne sont pas en all-over sur une doudoune ou un tee-shirt, non mieux, ils sont envoyés en guise d’invitation. Mais rassurez-vous, pour ceux qui n’auraient pas l’ultime privilège d’être invité au show d’une des marques les plus cool du moment, les billets étaient des faux. Quand même…

À l’intérieur, sur fond de musique techno, l’ambiance est tendue. Un sentiment d’urgence flotte dans l’air. Les mannequins sont pressés, pire, oppressés. Leur démarche est précipitée (il est vrai que chez Balenciaga, c’est rarement une balade de croisière). Une seule obsession, la destination ; le bureau. N’avez-vous pas remarqué ce mannequin en tenue de travail, un starbucks à la main ? Petit clin d’œil à la culture populaire. Cliché oui, réalité, aussi. Si l’on creuse un peu, derrière cette détermination sans faille, se cache une motivation plus profonde, l’appât du gain et de la richesse. Après tout, on est à Wall Street. L’armée de bureaucrates, pareil à des robots, atteint le summum de sa déshumanisation au travers d’une cagoule en latex qui se prolonge en une combinaison recouvrant l’entièreté du corps. D’ailleurs, ces dernières ne seront pas mises en vente ; il faudra encore patienter pour le déguisement couture de Cat Woman. Ce fétichisme apparaît alors comme le reflet de notre obsession voire perversion pour l’argent nous plongeant dans une routine dont on devient prisonnier.

Métro-boulot-soirée

On l’a bien compris, les mannequins qui foulent le podium partent au travail. Et quoi de mieux qu’une réinterprétation du power dressing des années 80 pour l’illustrer ? Demna a imaginé « la garde-robe » ; des vêtements haut de gamme considérés comme des classiques à avoir chez soi mais version couture. Une sorte de vestiaire destiné à un quotidien ordinaire mais pas trop non plus ; le designer ne fait jamais dans la banalité, on le sait.

Cette première partie du défilé est épurée et ultra-minimaliste, tout est dans la coupe ; des épaules (très) affirmées, une taille galbée ou une allure plus enveloppante mais pas moins structurée, rappel à Cristobal Balenciaga. Les costumes et vêtements d’extérieur célèbrent le noir sous toutes ses formes et matières ; le tombé fluide d’une soie contraste avec la rigidité d’une laine ou d’une gabardine. De temps en temps, les volumes mettent de côté leur audace et laissent place à des épaules tombantes et une taille abaissée. Le détail phare qui fait la différence ? Un col lavallière qui s’accorde aussi bien avec une chemise qu’avec un manteau. Côté accessoires, on joue la carte du workaholic à fond avec un sac en forme de mallette, le « money bag ». Aux pieds, le directeur artistique mise sur la démesure qui tend vers l’absurde. Les escarpins sont comme rembourrés et les bottes à lacets se présentent sous une version XXL.

Puis arrive 18h, place à l’afterwork. C’est le moment de sortir vos plus belles tenues de soirées. Chez Balenciaga, cela se traduit par une robe moulante entièrement vêtue de paillettes et pour les plus discrets, une version plissée plus vaporeuse noire ou à pois.

Adidas, l’énième collaboration

En fin de défilé, c’est (presque) la surprise générale. Dans la forme, c’est loin d’en être une. Les collaborations, ça vous dit quelque chose ? Cette saison, Balenciaga affirme sa position de mode sportwear et s’associe à Adidas. Oui, vous ne vous trompez pas, celle avec Gucci vient tout juste de poser ses valises en boutique. Dans le fond, rien de surprenant non plus. Un kaléidoscope d’ensembles de survêtements, de maillots de foot et de sweats à capuche logotypés défile ; on ne prend pas de risques. Et si vous êtes plutôt cool attitude que sport attitude, vous pourrez vous offrir le peignoir. En une collection, vous avez la définition même de la logomania qui fait ravage auprès des jeunes. Mais après tout, c’est ce qui compte non ?

Comme un sentiment de déjà-vu

C’est beau, c’est parfaitement maîtrisé et exécuté, mais c’est surtout vu et revu. Saison après saison, le stylisme nous raconte la même chose, seul le décor change. Demna dit vouloir créer du désir mais peut-on encore en créer en faisant constamment la même chose ? Tout se répète, d’ailleurs il ne s’en cache pas. La première partie du défilé était directement inspirée de sa collection Haute Couture. Le directeur artistique revisite perpétuellement les mêmes codes comme si le vêtement avait perdu de son propre intérêt et venait uniquement appuyer et servir une cause, non défendue par lui-même mais par la mise en scène et le décor.

Le designer emprunte à nouveau le rôle de celui qui dénonce, avec ironie, un système qui finalement lui profite bien… Il semblerait que ses satires de la société aient atteint leurs limites. Jusque-là, nous ne pouvions cacher notre impatience de découvrir le prochain défilé du créateur, tant il nous emmenait dans une narration troublante de réalisme et de vérité. Mais n’en aurait-il pas oublié son métier, celui de faire de la mode ? Débordant d’imagination pour créer des mises en scène toujours plus percutantes les unes que les autres, multipliant les collabs pour séduire une génération aussi geek qu’engagée, le directeur artistique a omis que dans la recette du succès, devait aussi se trouver le vêtement.

Loin de là l’idée de minimiser le travail et le savoir-faire derrière ces silhouettes ultra-structurées. Néanmoins, il semblerait que Demna ait été victime de son propre succès. A travers Wall Street, il a souhaité représenter ce monde terrifiant dans lequel on vit et dont le moteur n’est autre que l’argent. Mais la mode n’est pas exclue de ce système et ce ne sont pas les dernières silhouettes du défilé qui prouveront le contraire. Business is business.