La mode, mécanisme d'auto-défense ?
©Heyun Pan
Fraîchement diplômé du London College of Fashion, Heyun Pan a récemment dévoilé sa collection de fin d’études « Concealable zone » au grand public. Son inspiration première ? Le corps humain plus ou moins recouvert par un vêtement devenu outil de camouflage. La mode remplit alors une nouvelle fonction, celle d’auto-défense.
À peine diplômé, déjà reconnu
Il y en a pour qui, à peine le diplôme en poche, l’avenir s’annonce prometteur. Heyun Pan fait partie de ceux-là, ces génies repérés au sein même des écoles grâce à leur défilé de fin d’études. Certains grands noms de la couture ont commencé ainsi : Alexander McQueen, John Galliano, Hussein Chalayan… Enfin, on dit ça, on ne dit rien. Mais ce n’est pas tout, alors même qu’il n’est pas tout à fait sorti du London College of Fashion, le designer est déjà invité à présenter sa collection, nommée « Conceleable zone », à l’autre bout de la planète. Plus précisément à la Dubaï Fashion Week de l’automne-hiver 2022. Mais alors, qu’est-ce qui a tant attisé la curiosité de la sphère mode Emiratie ? Entre avant-gardisme, futurisme et déconstruction, le créateur dessine les contours d’un nouveau vestiaire masculin. A vrai dire, quand bien même ses créations s’adressent aux hommes, il n’est pas question de genre. Car de toute façon, sa seule obsession est le corps humain dans son ensemble.
Le corps, unique obsession d’Heyun Pan
Sa démarche est loin d’être incohérente. Le vêtement est là pour habiller le corps alors quoi de plus normal que d’en étudier les proportions et les formes avant de prendre son ciseau en main ? Pour le jeune prodige, notre enveloppe physique est le point central du processus créatif et entretient une relation intime avec le vêtement. Comment l’un et l’autre se façonnent ? Cette question, d’autres artistes se la posent déjà. Entre autres, Antony Gormley, dont les installations ont inspiré le créateur. Celui qui définit le corps comme un « imaginaire incarné » en étudie les limites et s’intéresse à son lien avec l’esprit ; l’impact que l’un a sur l’autre et vice versa. À chacun sa manière de s’exprimer sur le sujet, lui par l’art contemporain, Heyun Pan par la mode.
En façonnant notre enveloppe corporelle, qui nous appartient, le vêtement façonne notre identité. On en révèle certaines parties autant que l’on en cache d’autres pour dévoiler juste ce que l’on veut de nous-même. Techniquement parlant, le designer déconstruit pour mieux reconstruire. Ses créations, démontrant tout son savoir-faire pour le tailoring (on est à Londres après tout, berceau du tailleur), s’apparentent à un enchevêtrement de tissus entaillés comme de petites fenêtres que l’on laisse ouvertes sur notre personnalité. Car selon lui, on ne s’habille pas réellement pour soi mais pour renvoyer une image de nous aux autres, qu’elle soit vraie ou non. Mais pourquoi cette relation sociale aurait-elle tant d’importance ? Il faut dire que la première manière d’évaluer quelqu’un est naturellement visuelle, donc à travers ce que l’on porte. Face au miroir, ce n’est pas tant « à quoi ai-je envie de ressembler ? » mais plutôt « comment ai-je envie que l’on me perçoit ? ». C’est comme si le vêtement ne nous appartenait plus vraiment. Il perd alors sa fonction d’attribut personnel pour devenir davantage un outil social. C’est un peu comme se cacher derrière une carapace.
Un vêtement qui joue double-jeu
Cette idée de bouclier se réfère à un concept simple et primaire, le camouflage, l’essence même de sa collection dont, rappelons-le, le nom n’est autre que « Concealable zone ». Les animaux utilisent ce système de défense pour se rendre invisibles en changeant de couleur à l’arrivée d’un prédateur et ainsi se protéger. Nombreux sont ceux qui détiennent cette impressionnante capacité à se métamorphoser en s’adaptant à son environnement. Ce mécanisme reflète plutôt bien ce qu’il se passe dans notre société actuelle. En adoptant une allure passe-partout, on s’assure de ne pas attirer le regard de l’autre. Eux le font pour une question de sécurité, nous, nous le faisons pour une question d’image. Un poil plus superficiel donc mais qu’à cela ne tienne, le principe est similaire.
Dans la collection, cela se traduit par des bouts de tissus contrecollés de plusieurs couleurs découpés au laser et bien souvent cousus à la main. Face à une vision de la mode aussi avant-gardiste, les techniques de couture traditionnelles ne conviennent pas. Alors on s’arme des outils technologiques pour mieux se rapprocher de la nature. Cela paraît antinomique, et pourtant, c’est bien la démarche entreprise par le créateur et le résultat est plus que réussi. Parenthèse innovation fermée, revenons à ces pièces qui lorsqu’on les retourne, adoptent une tout autre apparence. À l’extérieur, les teintes sont sombres et neutres, on se fond dans la masse ; des nuances de bleu tirant parfois sur le violet. À l’intérieur, les couleurs sont beaucoup plus vives, toutes autant inspirées de la faune et de la flore bien sûr. Autre détail, ces gants venant couvrir, sur chaque modèle ou presque, le corps jusqu’au bout des ongles, comme une prolongation des tee-shirts moulants dissimulés sous les vestes aux découpes tranchantes. À nouveau le vêtement devient gardien d’une identité, tant physique que mentale, que l’on accepte plus ou moins de montrer.
À travers une approche de la création humaniste et une maîtrise implacable du tailoring, Heyun Pan explore cette relation entre corps, esprit et matière. Il questionne autant la place qu’occupe le vêtement sur notre enveloppe physique que dans la société. À l’aube du lancement de sa marque Permu, abbréviation de permutation, on peut présager que les futures collections nous rapprocheront un peu plus de cette mode quasi philosophique. Affaire à suivre…