De la scène au podium, le phénomène Lil Nas X

©Catherine Powell

Il utilise la chanson comme moyen d’expression, la mode comme outil de revendication. En seulement 3 ans, le chanteur Lil Nas X s’est vu élever au rang d’icône pop, bousculant au passage les codes d’une industrie artistique encore bien trop stéréotypée.

Trouver les mots par la musique

20 ans. À cet âge, les jeunes profitent de leur vie (et des soirées étudiantes), lui, écrit les futurs hits sur lesquels ils danseront. Lil Nas X, de son vrai nom Montero Lama Hill – Montero faisant référence à la voiture de rêve de sa mère – sort son premier EP nommé « 7 » en 2019. À partir de ce moment-là, il sait qui il est, ce qu’il veut et c’est précisément ce qui va le mener au sommet de la réussite… et du Billboard Hot 100. Avec son titre « Old Town Road » en duo avec Billy Ray Cyrus, il reste en tête de ce prestigieux classement musical assez longtemps pour en battre le record. 17 semaines, rien que ça. Toute la sphère Tik Tok danse au rythme de ce morceau aux consonnances rap et country. Mais ce clip, c’est avant tout une interprétation (très) personnelle de sa vie ; l’histoire d’un cow-boy solitaire ayant déçu ses parents. Car la musique est une sorte d’exutoire pour celui qui est à la fois rappeur, afro-américain et homosexuel.

Il est l’un des premiers artistes noirs à revendiquer son attirance pour les hommes. En bon communiquant, c’est sur Twitter, sa plateforme de prédilection – sur laquelle il a posté sa première chanson Shame et tenu des comptes fan de Nicki Minaj – qu’il fait son coming out. Alors même qu’il prévoyait de ne jamais révéler son orientation sexuelle par peur de ne pas être conforme à une société qui méprise la différence, il a trouvé les mots justes dans la musique devenue alors son territoire d’expression et même plus, de revendication.

L’enfant terrible du rap

Défenseur de la cause LGBTQIA+, le rappeur se différencie nettement des canons de l’époque qui prônent la virilité, la violence, le sexe et l’argent. Mais ne vous y trompez pas, la recette de son succès n’est pas sans une pointe de provocation. Par exemple, son titre « Montero - Call me by your name » exprime le désir d’un homme pour un autre. Dans le clip, il descend en enfer en glissant, de manière (très) suggestive, sur une barre de pole dance avant de s’offrir une danse endiablée – c’est le cas de le dire – tout aussi suggestive. Cette mise en scène est un véritable pied de nez à l’église qui destinait les homosexuels à aller en enfer. Alors voilà, il y est allé, mais à sa manière. Son père l’a emmené au gospel durant toute son enfance ; l’imagerie biblique, c’est un sujet qu’il maîtrise plutôt bien. Pour lui, elle est le symbole d’une censure identitaire qui l’a empêché d’être lui-même durant son enfance. Mais à s’être caché pendant (trop) longtemps, aujourd’hui Lil Nas X veut être vu.

Un cow-boy des temps modernes

Dans la mise en scène de ses clips, comme dans ses tenues, le chanteur ne connaît aucun complexe et ose. Comme il le confiait à GQ lors d’une interview, pour lui, le confort est la mort de l’art. Autant qu’il redéfinit le rap dans une version country, il en redéfinit aussi les codes stylistiques sur un mode queer mettant sur le devant de la scène un cow-boy d’un nouveau genre. Ou plutôt sans genre. Car s’il y a bien un point saillant dans le style du rappeur, c’est sa dimension androgyne. Ses premières inspirations ? Des stars de la musique comme Prince ou encore Grace Jones. Flashbacks de souvenirs disco qui nous ramènent sur une piste de danse où régnaient en maître pantalon pattes d’elph, paillettes et stroboscopes. Plus qu’une esthétique singulière et excentrique, les années 70 représentent une période de libération vestimentaire où le temps d’une courte période, la frontière entre féminin et masculin était floutée.

Mais ce ne sont que de lointains souvenirs. Car si le vêtement est aujourd’hui un outil d’expression, il n’en reste pas moins soumis à des règles établies pour simuler un semblant de stabilité dans un monde conformiste. Lil Nas X envoie valser toutes ces conventions au profit d’une mode éclectique et libre.

Le clip de sa chanson « Old Town Road » est une parfaite illustration de son style. Tout est pensé dans les moindres détails ; une des tenues n’a nécessité pas moins de 100 heures de confection. Cette attention portée sur son apparence va même au-delà des plateaux de tournage. Avec sa styliste Hodo Musa, ils se rapprochent des maisons aussi audacieuses que lui ; Versace, Thom Browne ou encore Balmain, pour mieux marquer les esprits sur les red carpet. Chacun d’eux est comme une pièce de théâtre où le jeune rappeur interprète un personnage qui lui ressemble en tout point et qui se permet les plus belles extravagances.

S’exprimer par le vêtement

Aux Grammy Awards 2020, il s’affiche en costume robe rose Barbie armé d’un harnais, signé Versace. Une esthétique aux accents BDSM déclinée dans une version pop avec une couleur jusque-là (trop) associée aux femmes. Stéréotype quand tu nous tiens. Aux VMAs 2021, il la joue plus pastel avec une tenue chimère mi-robe, mi-costume lilas. À la limite de la performance, il continue de briller aux BET Awards 2021 avec un costume doré et une cape qui, ôtée, dévoile une combinaison moulante. On croirait presque une armure. Mais la dimension image du vêtement seule ne l’intéresse pas. Il l’utilise davantage comme un outil de communication pour s’affirmer (presque) subtilement et fièrement. Un esprit engagé qui séduit les marques et le hisse sur les podiums de grandes maisons.

D’icône pop à icône mode

Ses premiers pas mode ont pourtant été loin d’être une réussite. En 2021, il commercialise avec MSCHF, une paire de Air Max 97 avec des éléments plus que troublants… Une croix, un pentagramme, un verset de la Bible et même une véritable goutte de sang dans la semelle de la chaussure. La paire, distribuée en 666 exemplaires – référence à Satan – n’a pas été au goût de tous et surtout pas du principal intéressé, Nike, qui n’a jamais donné son accord pour cette opération.

Mais ce bad buzz n’a pas effrayé les grands noms de l’industrie à l’instar de Jean-Paul Gaultier avec qui il s’est associé pour une collaboration bien moins sanglante. Les deux artistes réunis autour d’une conviction, celle de brouiller les frontières du genre et théâtraliser la mode, ont imaginé des tee-shirts en tulle – matière phare du créateur français – disponibles eux aussi en 666 exemplaires. Plus récemment, à la dernière Fashion Week SS23, le chanteur a livré une performance en live lors du grand défilé du Vogue américain dans les rues de New-York avec, à ses côtés, les sœurs Hadid et Serena Williams, en toute simplicité. Dans le même temps, Coach l’a transformé en mannequin d’un jour lors de son dernier show et en a fait un ambassadeur de la maison, tout comme pour YSL Beauté, dont il représente le maquillage et le parfum.

De la musique à la mode, de la scène au podium, Lil Nas X utilise l’art pour s’exprimer et manie son image et sa parole avec justesse, non sans une pointe d’humour. Il est difficile de cerner et définir celui qui témoigne à la fois d’une attitude profondément désinvolte et résolument engagée. Mais finalement, n’est-ce pas là son objectif ? Incarner un personnage que l’on ne peut faire rentrer dans aucune case, comme un avant-goût d’un monde sans étiquettes, qui, espèrons-le, nous attend dans un futur proche.