Robert Wun conjugue mode et nature au futur

©Robert Wun

Le temps des collections rétrospectives où l’on fait l’inventaire d’un héritage passé semble révolu. Des créateurs comme Robert Wun imposent désormais une mode qui parle au futur. Mais oubliez les robots et autres armures de métal, la femme de demain s’inspire de la douceur et de la beauté que la nature nous offre.

De Londres à Hong Kong

Si Robert Wun a installé ses quartiers à Londres, c’est de l’autre côté de la planète qu’il faut s’envoler pour comprendre ses origines. Cap sur Hong Kong, cette ville qui représente pour lui une éducation relativement stricte où la rigueur était de mise ; on comprend mieux ses coupes d’une précision chirurgicale. Privé de la liberté de penser durant son enfance, il compense cette censure en se réfugiant dans la création.

Direction Londres où le designer s’émancipe de son éducation hongkongaise dont il gardera tout de même l’éthique de travail. Il y découvre un mode de vie libre, créatif et moderne. Une autre raison qui le pousse à s’éloigner de ses racines, c’est sa volonté d’être perçu différemment que par le prisme de son origine asiatique. Cliché direz-vous ? Assurément. L’occident a encore du chemin à faire pour se détacher des images folkloriques et stéréotypées qu’il a des autres cultures. Robert Wun intègre alors le prestigieux London College of Fashion. Il en ressort diplômé en 2012 sans même avoir été invité à défiler dans le cadre du projet de fin d’études. Qu’à cela ne tienne, de toute façon aujourd’hui, le créateur ne défile pas ; les économies d’abord. Mais cela n’empêche pas le jeune homme d’y croire et de débuter en free-lance.

Le hasard des belles rencontres le pousse à croiser, par le biais d’un ami, un investisseur qui voit en lui tout le potentiel d’un futur grand designer. Le jeune entrepreneur lance alors sa marque en 2014. Puis sa sœur rachète l’entreprise et le label devient une histoire de famille qui se ressent jusque dans les collections.

Des collections avant tout personnelles

Robert Wun aime les femmes, véritablement. Il pense autant à elles qu’il s’en inspire. Un point commun avec un certain Peter Do, à qui l’on prête aussi cet amour féminin (et en qui on peut voir quelques similitudes dans l’architecture des coupes). Pour elles, il est prêt à se livrer. Au-delà de sa créativité et de sa technicité, il disperse dans ses créations des fragments de sa vie et les enrichit de son âme. En 2021, il rend ainsi hommage à Jade, sa grand-mère, décédée quelques mois auparavant au travers d’une armée féminine prête à conquérir le paradis pour la retrouver. Ces femmes sont fortes, à l’image de la lutte qu’elles mènent chaque jour dans notre société pour se faire une place. Si le créateur est aussi sensible à cette cause, c’est parce que lui aussi a été rejeté par un système qui ne laissait pas ou peu la parole aux minorités. Cette collection s’inspirait aussi des oiseaux, que sa grand-mère adorait. Chaque silhouette était une réinterprétation d’une photo ou d’un dessin d’oiseau aux mille couleurs et portant le nom d’une femme qui l’inspire. Car la mode de Robert Wun part avant tout d’une passion d’enfance : la nature.

La nature, au cœur du processus créatif

Le créateur portait un grand intérêt pour la faune et la flore et envisageait même d’être biologiste. Finalement, sa carrière aura pris un tout autre tournant… À défaut de pouvoir manipuler les plantes et fleurs qui nous entourent, il tente de les distiller dans ses collections. En 2020, « Orchid Mantis » s’inspire autant de Mulan, pour sa grâce et sa force que de l’orchidée. Les vêtements sont semblables à des sculptures de tissu aux formes arrondies qui dégagent une telle puissance, c’est irréel. Non, c’est Robert Wun. En 2021, des vestes, chemises ou encore pantalons se recourbent délicatement, imitant les pétales du lys. Le designer crée par amour de la nature qui, paradoxalement, marque le point de départ de collections futuristes, presque surnaturelles, mais sans jamais clichées.

Une nouvelle définition du futurisme

Son truc à lui, ce sont les références cinématographiques avec un net penchant pour la science-fiction ; Ridley Scott ou les sœurs Wachowski entre autres. Dans l’imaginaire collectif, la femme du futur prend spontanément des airs robotiques. Et les créateurs entretiennent cette image d’une technologie qui s’impose dans notre société (et notre garde-robe) et qui bientôt, semble-t-il, nous remplacera. Mais si Robert Wun a une approche scientifique de ses créations, son interprétation de la mode de demain est loin d’être littérale et alterne entre réalité et fantasme. Les silhouettes qu’il crée sont ultra-conceptuelles – un petit quelque chose d’Iris Van Herpen flotte dans l’air. Les coupes sont réfléchies, le tailoring est net et précis rythmé par une découpe graphique ou un plissé délicat. Alors même qu’il n’utilise pas de métal, les matières employées prêtent à confusion. On conserve cette idée d’armure, mais plus adapté au corps de la femme. Décidément, les designers nous annoncent un avenir où notre besoin de protection sera plus fort que tout. Il utilise ainsi du coton, du spandex ou encore du néoprène car bien que futuriste, la mode doit aussi et surtout être pratique ; logique. Laçage, sangles détachables, zips, même si une certaine efficacité se ressent dans les collections, elles n’en sont pas moins riches et complexes. Tous ces détails introduisent l’idée d’un vêtement évolutif, vivant ; après tout, n’est-ce pas ce qui définit la nature ?

Cette vision avant-gardiste séduit plus d’une star. Lady Gaga, Anya Taylor Joy, la nouvelle muse de Dior ou encore Cardi B dans son clip « Money » ; toutes s’arrachent la mode architecturale de Robert Wun. Et son succès ne se limite pas aux tapis rouges, il se prolonge sur les plateaux de tournage. Les équipe du second volet d’Hunger Games ont fait appel à lui pour imaginer certains costumes d’Effie Trinket. Le film se passe dans le futur, le genre de futur où ranger les gens dans des cases finit par conduire à la rébellion. Cette idée de cases, qu’elles soient culturelles ou raciales, c’est justement ce qui pousse le designer à concevoir ses collections. Après tout, s’immerger dans le monde d’après, c’est laisser libre court à son imagination et se détacher définitivement des stéréotypes présents. Il n’y a aucune limite dans un univers qui n’existe pas encore, on peut tout se permettre. Et tant qu’à faire, autant opter pour l’optimisme.

Une nouvelle forme de féminité s’apprête à éclore à l’avenir. Loin des scénarios catastrophes qui donnent presque envie de se retrancher dans le passé, Robert Wun ose y apporter une note de légèreté et de poétisme. Contre toute attente, le créateur fait conjuguer nature et futur et le résultat n’en est que plus spectaculaire. Mode ou art ? À vous d’en décider.