Yuima Nakazato, aux antipodes d'une Haute Couture conservatrice
©Yuima Nakazato
Le designer Yuima Nakazato fait rencontrer différents univers qu’à priori tout oppose ; l’esthétique occidentale et japonaise, l’innovation dans la plus pure tradition de la Haute Couture et la relation humaine dans un monde de plus en plus digital. Il imagine une nouvelle vision de la mode, celle de demain, non dans sa forme fantasmée mais dans sa forme technique et pratique. Voici comment.
Partagé entre le Japon et la Belgique
Yuima Nakazato grandit à Tokyo et est très vite bercé par les influences artistiques de ses parents ; son père était sculpteur, sa mère était joaillière. Il quitte alors le continent pour s’initier à l’art et au style occidental et atterri en Belgique où il poursuit des études à l’école des Beaux-Arts d’Anvers. À peine diplômé, il se fait déjà remarquer et remporte le prix d’innovation par Ann Demeulemeester pour sa collection de fin d’études. Avant de créer sa marque, c’est sur la scène artistique et plus particulièrement musicale qu’il fait ses premiers pas. Il conçoit les costumes de nombreux artistes dont Fergie et Lady Gaga, rien que cela. On comprend alors sa vocation de créer des pièces sur mesure adaptées aux corps de chacun. En 2009, la mode Yuima Nakazato naît et ses créations reflètent tout ce qui l’a construit ; la démarche avant-gardiste belge se mêle aux souvenirs d’enfance japonais.
De la Belgique, il reprend ainsi cette volonté de questionner la fonction du vêtement, sa construction et sa déconstruction. Du Japon, il reprend les pièces traditionnelles tel que le kimono. Toute la dualité de Yuima Nakazato se trouve dans cette approche ambivalente créant un pont entre deux cultures qui, malgré leurs différences se rejoignent et se complètent pour former une mode nouvelle, sa mode. Sur les traces de designers qui ont autant marqué la scène belge comme Martin Margiela, que la scène japonaise comme Yohji Yamamoto, il s’attarde également sur le rapport entretenu avec le corps humain. Le fond passe avant la forme, le concept passe avant le vêtement.
Entre tradition et modernité
Mais ce qui fait la mode de ce créateur expérimental, c’est avant tout sa force d’innovation, en atteste son tissu signature, l’hologramme dont le jeu de lumière représente pour lui la nature. Il multiplie les avancées techniques et technologiques, 3D notamment, qu’il injecte dans ses collections Haute Couture. Un parti pris qui semble paradoxal aux premiers abords ; d’un côté se trouve un univers qui voit constamment dans le futur, de l’autre, un monde conservateur qui garde un œil dans le passé. Mais les deux ne sont pas incompatibles et au contraire, Yuima Nakazato entend bien les faire cohabiter et démocratiser cet art. Il n’en oublie pas pour autant ses codes, auxquels il est attaché. L’essence même de la Haute Couture, c’est le sur-mesure et avec ses années de costumiers, c’est un terrain qu’il maîtrise plutôt bien.
Pour faire face à l’éloignement subi lors de la crise du COVID, le créateur a eu l’idée de lancer une ligne de « demi-mesure » baptisée Face to Face. L’idée ? Le client lui envoie une de ses chemises et échange avec lui sur ses envies de transformation liées à des souvenirs, des anecdotes personnelles. Un véritable moment privilégié et intime destiné à recréer une pièce autant unique dans la construction que dans sa signification. L’acheteur devient ainsi acteur dans le processus de création.
Plus récemment, la maison japonaise a lancé Type-1, un concept qui supprime complètement le principe de coutures. À la place, une machine 3D vient mouler des points qui, fixés ensemble à la main créent ourlets, cols et manches que l’on peut détacher. Chaque pièce devient unique, mais surtout évolutive. Si l’on peut penser que la technologie tend parfois à réduire les relations humaines, Yuima Nakazato inverse la tendance. Ici, l’innovation vient renforcer le lien entre la maison et le client qui prend part à la construction de son vêtement.
Ce principe de simplification se retrouve aussi dans son tout dernier design textile, le biosmocking. Pas de découpes, pas de coutures, on utilise un rectangle de tissu agrémenté de cordons que l’on ajuste à la forme de son corps. En plus de l’avancée technique, le matériau est constitué de protéines végétales. Parce que oui, la mode du futur selon Yuima Nakazato est évidemment durable.
Une vision 360° de la mode du futur
Le créateur s’interroge, que porterons-nous demain ? Ou mieux encore, à quoi ressemblera notre vestiaire lorsque nous ne serons plus sur Terre ? Le début de réponse se trouve dans sa collection SS18. Quoi qu’il en soit, utiliser des processus durables est au cœur de sa philosophie. Avec Face to Face, on ne crée pas un vêtement mais on en reprend un pour le modifier, l’améliorer, le voir sous un angle différent. Avec Type-1, lorsque l’on ne veut plus d’une pièce, on peut la renvoyer. Elle est ensuite détricotée et les fils sont réutilisés pour en concevoir de nouvelles. Pourquoi le tricot ? Parce que cette pratique génère bien moins de déchets que le tissage. D’ailleurs ces derniers sont aussi limités avec le biosmocking qui évite le surplus de tissu. En ce qui concerne la production, la maison tient à créer à partir de matières écologiques ; une soie recyclée, un coton biologique ou encore une dentelle naturelle. Yuima Nakazato pense la mode du futur dans son intégralité et au-delà de penser à l’homme, il pense aussi à l’environnement.
Si finalement la Haute Couture est un domaine qui se prête peu aux changements et que l’on peine à bousculer, Yuima Nakazato nous prouve bien le contraire. À coups de dualités culturelles et d’innovations techniques, le créateur démontre une envie de créer pour faire mieux. Avec lui, les opposés s’attirent pour dessiner une mode nouvelle qui réunit tradition et modernité.